Philippe CLAUDEL est un écrivain lorrain qui a reçu divers prix, tels que le prix Renaudot 2003 avec "les âmes grises", le prix Goncourt de la Nouvelle 2003 pour "les petites mécaniques". Il est passé cette année à la réalisation avec "il y a longtemps que je t’aime".

Entreprendre

Gilbert MORLET : Philippe CLAUDEL, vous avez accepté de parrainer la promotion des lauréats 2007 du Réseau Entreprendre Lorraine. Lors de la fête des lauréats, vous avez expliqué que la réalisation de votre dernier film vous avait placé en situation d’entrepreneur. Que représente pour vous l’entrepreneuriat ?

Philippe CLAUDEL : j’ai trouvé que ce rôle s’apparentait à celui d’un pivot ou d’un axe central autour duquel devaient s’organiser et agir harmonieusement toutes les compétences réunies. Il y a beaucoup de plaisir d’ailleurs à voir cette mécanique fonctionner parfaitement au service d’un projet, et des angoisses aussi lorsque l’on songe que peu de choses pourraient l’enrayer.

Le lien intergénérationnel

GM : Dans « la petite fille de Monsieur Linh », vous racontez l’histoire d’un lien intergénérationnel entre un grand-père expatrié en France et sa petite fille. Alterval intervient en entreprise pour améliorer et accélérer le transfert de connaissances entre deux générations de professionnels. Ce que nous avons constaté, c’est que lorsque ces deux générations apprennent à travailler ensemble, elles appréhendent alors positivement chez l’autre ce qu’elles considéraient auparavant comme négatif. Le rapport à l’altérité n’est il pas un enjeu pour créer du lien social dans une société qui connecte à distance et de manière virtuelle les personnes ?
PC : Il est certain pour moi que seul le lien direct entre les générations, entre les hommes quels qu’ils soient, permet la connaissance et la transmission. Les contacts virtuels sont un bon début et peuvent dans certaines circonstances pallier les contacts réels, mais le lien d’humanité et de savoir ne peut à mon sens faire l’économie d’une relation véritable. Cela est encore plus net dès qu’il s’agit de lien social, puisqu’il paraît inconcevable de créer une communauté sans que ses membres ne puissent échanger, se côtoyer, se voir, se confronter, et s’enrichir mutuellement.

De la culture de l’oralité à l’écrit

GM : Dans le rapport Brodeck (Prix Goncourt des lycéens 2007), vous montrez à quel point dans une société à culture orale une personne chargée d’écrire ce que d’autres disent se trouve placée au cœur de sa communauté. La réalisation de ce rapport devient stratégique et rend compte de la difficulté d’écrire ce que savent les autres. Alterval extrait et formalise les connaissances stratégiques des professionnels pour sauvegarder la mémoire des compétences de l’entreprise. Comment avez-vous appréhendé le travail d’écriture de Brodeck dans une société de l’oralité ?

PC : Pour un écrivain, le passage à l’écrit est évidemment au coeur de son travail. Je pense que le rapport à l’écrit est avant toute chose un rapport au temps. Contrairement à l’oral qui par essence est volatil, l’écrit s’inscrit dans une sorte de permanence qui permet à celui qui le fréquente un arrêt et une réflexion. L’écrit invite le lecteur à sortir du cinétisme que produit constamment et de façon de plus en plus aiguë notre société et à prendre pied sur un continent qui est celui de l’analyse et de la mémoire.

Vers la société de la connaissance

GM : L’altérité est au cœur de vos écrits et de vos réalisations cinématographiques avec notamment « il y a longtemps que je t’aime ». Alterval s’est appelée ainsi car nous pensons que la société de la connaissance passe par la valorisation de l’Altérité. Appréhendez-vous différemment l’Autre selon que vous utilisez l’écriture ou la caméra ?

PC : Non, mon but est le même : lui proposer des histoires humaines qui soient des miroirs à sa condition, qui lui procurent questionnement, réflexion et émotion. J’espère à chaque fois qu’il en sortira un peu changé.

GM : Merci à vous Philippe CLAUDEL et bonne réussite pour toutes vos entreprises.